CHAPITRE UN
Luke serra ses doigts autour du volant en cuir de son Aston Martin One-77. Il appuya sur l'embrayage et changea de vitesse, traversant un feu orange à toute allure. Sa poitrine se serra tandis que son cœur se contractait. Encore quelques minutes. Puis cette journée s'estomperait tandis qu'il se perdrait au fond d'un verre.
Cinq minutes plus tard, Luke lança ses clés au voiturier et entra dans le club exclusif de Los Angeles. Les battements de la musique faisaient vibrer les murs noirs, drapés de tissu violet chatoyant, à chaque pulsation. Ses épaules s'affaissèrent et sa respiration ralentit tandis que la musique l'enveloppait. Les lumières de la piste de danse se reflétaient sur les lustres en minuscules arcs-en-ciel. Le club sentait l'alcool coûteux et le parfum. Malgré les fêtes, ou peut-être à cause d'elles, la piste de danse était bondée. Il les ignora et se dirigea droit vers le bar. Les femmes viendraient à lui bien assez tôt.
— Monsieur Ryder, dit le barman. Je ne m'attendais pas à vous voir ici aujourd'hui. Comme d'habitude ?
Luke acquiesça et s'installa sur un tabouret. Le barman prépara un Scotch on the rocks et le lui tendit. Luke le vida en deux gorgées douloureuses. Il remarqua des femmes qui se tournaient dans sa direction, chuchotant à leurs amies.
Voilà les chasseuses de fortune. C'était pour ça qu'il était venu au bar plutôt que de boire chez lui, mais il n'était pas encore prêt pour elles. Il lui fallait toujours quelques verres pour oublier Brooke et profiter de la compagnie d'autres femmes.
L'une d'elles se détacha de son groupe et s'avança d'un pas nonchalant. Luke reconnut immédiatement son genre — robe de soirée microscopique, cheveux blond décoloré, peau bronzée. Faux seins et carte de crédit de papa.
Attends. Il ne reconnaissait pas seulement son genre. Il la reconnaissait elle.
Elle s'assit sur le tabouret à côté du sien, se penchant en avant pour que son décolleté soit mis en valeur. — Luke Ryder, en chair et en os.
— Candi. Que fais-tu de retour en Californie ?
— Offre-moi un verre et je te le dirai.
— Pour le bon vieux temps, accepta Luke. Il leva la main, faisant signe au barman. — Je prendrai un autre Scotch, et donnez à cette dame ce qu'elle veut. Un martini vodka est toujours ta boisson préférée ?
— Tu t'en souviens.
Le serveur partit chercher leurs boissons. Candi jouait avec la manchette de la chemise de Luke. — Qu'est-ce qu'un homme comme toi fait ici le jour de Thanksgiving ? Tu as sûrement un meilleur endroit où être.
Il résista à l'envie d'écarter sa main. Ce n'est pas comme si Brooke était là pour voir. — En effet. Mais la maison était trop calme sans son père qui sifflait des airs de Noël faux. La table du dîner était trop vide avec seulement lui et sa mère. Le repas était trop fade, sans les blagues de son père et sa célèbre dinde frite. Dès que sa mère avait commencé à bâiller, Luke s'était enfui.
Les lèvres de Candi s'abaissèrent en une moue compatissante. — Ce doit être un jour si difficile pour toi. Ça fait quoi, un mois depuis le décès de ton père ? Je t'ai suivi à travers la presse.
Cinq semaines et deux jours. Il avait ressenti chacun d'eux.
Le barman revint avec leurs boissons, et Luke prit une gorgée de la sienne.
Candi croisa l'une de ses longues jambes galbées sur l'autre. — Je suis sûre que tu te souviens à quel point je sais réconforter. Je peux te faire sentir mieux si tu me laisses.
Luke n'en doutait pas. Candi avait été sa petite amie à l'université, et une autre tentative ratée pour rendre Brooke jalouse. La relation entre Luke et Candi avait été chaotique au mieux. C'était une petite amie possessive et jalouse, encline aux jeux psychologiques. Il avait été soulagé quand elle avait obtenu un emploi à l'autre bout du pays et avait déménagé. Mais elle savait comment le faire se sentir mieux.
Qu'en penserait Brooke ? Elle n'avait jamais beaucoup aimé Candi.
Elle penserait à Antonio, voilà ce qu'elle ferait. La bague à son doigt le rendait évident.
Pourtant, il ne pouvait pas se résoudre à encourager Candi. Pas encore. — Je vais m'en tenir à boire, merci. Il prit une gorgée pour souligner son propos.
La langue de Candi sortit et humecta sa lèvre supérieure. — Tu ne buvais jamais beaucoup avant.
— Mon père était en vie avant.
Candi se pencha en arrière, abandonnant son air séducteur pour la première fois. — Je comprends. J'ai perdu mon père il y a presque deux ans. Cancer du poumon, comme le tien. Il ne pouvait pas arrêter de fumer, même à la fin.
— Mon père ne fumait pas. Mais son grand-père si. Fumée secondaire, avaient dit les médecins. C'est ce qui avait causé le cancer du poumon. Dix-huit ans à vivre avec un fumeur d'un paquet par jour. Il semblait toujours cruel que son père ait dû mourir pour un choix qu'il n'avait jamais fait. — Je suis désolé pour ton père. Je ne l'avais pas appris. Est-ce que ça devient plus facile avec le temps ?
— Non. Mais tu apprends à mieux y faire face.
Son honnêteté était inattendue et rafraîchissante. Peut-être avait-elle changé en quatre ans depuis qu'il l'avait vue pour la dernière fois.
Brooke détesterait que tu sois ici avec Candi, lui murmura son esprit.
Brooke n'a pas son mot à dire. Elle a Antonio maintenant.
Candi sourit à Luke. Ses dents étaient trop blanches et trop droites, son sourire trop large. De toute évidence, sa carrière de mannequin avait été assez réussie pour se permettre quelques améliorations.
— J'ai beaucoup pensé à toi ces dernières années. J'ai même pensé à te contacter quand je suis revenue il y a quelques mois, dit Candi.
— Pourquoi ne l'as-tu pas fait ?
— Je me suis dit que si tu voulais me trouver, tu le ferais. Mais quand je t'ai vu ici ce soir, je n'ai pas pu résister. Candi prit une autre gorgée de son martini, puis le posa sur le bar. Elle tendit sa main à Luke. — Assez de cette conversation déprimante. Allons danser.
Candi avait été beaucoup de choses. Folle. Erratique. Possessive. Mais elle avait aussi été amusante, passionnée, et excellente pour lui faire oublier ses problèmes. Elle était exactement ce dont il avait besoin ce soir.
Luke laissa Candi le conduire sur la piste de danse. Brooke était chez elle, probablement en vidéo avec Antonio et mangeant de la tarte avec sa mère. Candi était ici.
Candi saisit ses hanches, les faisant bouger au rythme de la musique. Luke prit un shot d'un serveur qui passait, puis laissa l'alcool prendre le dessus. Pendant des heures, ils dansèrent. À mesure que son cerveau s'embrumait, Candi devenait plus belle, la musique plus excitante, et danser plus agréable que jamais.
— Mon appartement est à seulement quelques rues, dit Candi à Luke après encore une danse. Tu te souviens combien on s'amusait ?
Le cerveau embrouillé de Luke s'éclaircit. Brooke.
Elle ne me veut pas. Pas comme ça.
Pourtant, il voulait au moins essayer d'être un gentleman. — Tu es sûre ?
Candi se rapprocha, se pressant contre lui. Sa peau luisait d'humidité sous les lumières colorées. — Oui. Je t'aiderai à tout oublier de cette journée. Je te le promets. Et puis ses lèvres étaient sur les siennes. Ses bras étaient comme des étaux — des étaux doux et réconfortants qui lui faisaient se sentir moins mort à l'intérieur.
Et elle avait toujours été une embrasseuse fantastique.
Il ferma les yeux et imagina qu'il embrassait Brooke. Imagina que c'étaient ses bras enroulés autour de son cou, ses doigts entrelacés dans ses cheveux. Luke aurait dû faire son move avec Brooke quand il en avait eu l'occasion, malgré la promesse qu'il avait faite à son père. Les lumières de la salle de danse scintillaient derrière ses paupières closes tandis qu'il se laissait rêver.
Il fut ramené au présent par un cri. — Luke ! La voix était soulagée, avec une note de panique.
Luke s'arracha de Candi. Il lutta pour donner un sens à cette voix dans ce cadre.
Et alors il la vit. Elle s'avançait hardiment à travers la foule, paraissant déplacée dans son manteau blanc, son jean déchiré et ses tongs. Mais il reconnut le sac — un sac Birkin rose de douze mille dollars qu'il lui avait offert pour son anniversaire. Elle n'avait aucune idée de combien il coûtait, ni que c'était lui qui l'avait acheté. Il avait menti en disant que c'était un cadeau d'un client, puisque cela ne violait pas techniquement la Règle n°8.
Brooke se jeta sur Luke, l'enveloppant dans une étreinte. Ses boucles châtaines, tirées en queue de cheval, lui chatouillèrent le nez. — Tu vas bien. Elle recula, le fusillant du regard. — As-tu la moindre idée depuis combien de temps je te cherche ? J'ai dû quitter la maison de ma mère plus tôt. Sans tarte.
— Qu'est-ce que tu fais ici ? Candi posa une main sur sa hanche et lança un regard noir.
Les yeux de Brooke s'élargirent, remarquant apparemment Candi pour la première fois. — Regardez ce que le chat a ramené. Je pourrais te demander la même chose.
— Pourquoi es-tu ici ? demanda Luke à Brooke. Les mots sonnaient confus, même à ses propres oreilles. Il grimaça. Brooke ne touchait jamais à l'alcool et détestait quand il buvait. À cause de cela, il ne s'était jamais beaucoup adonné à la boisson. Jusqu'aux funérailles.
Elle ne mentionne jamais la consommation d'Antonio.
— Euh, je te cherche, dit Brooke. Ta mère m'a appelée et m'a suppliée de vérifier comment tu allais. Et puis Mitch a appelé. Elle sortit son téléphone et commença à écrire un message. — Allez, on rentre à la maison.
— Nous étions sur le point de partir chez moi, dit Candi, saisissant possessivement le bras de Luke. Et trois, ce serait la foule. Tu n'as jamais su quand te mêler de tes affaires.
Brooke l'ignora. — Allons-y, Luke.
Candi se plaça devant Brooke. — Il vient avec moi. Tu n'es pas sa mère.
— Mais je suis sa meilleure amie. Ça l'emporte sur ex-petite amie n'importe quel jour.
Brooke contourna Candi et tira sur le bras de Luke. Il trébucha, manquant de renverser Brooke. Quelle façon de faire impression, Luke. Rien ne fait battre le cœur d'une fille comme un ivrogne.
— Tu n'es pas obligé de partir, leur cria Candi.
— Je dois y aller, marmonna Luke.
— Au moins appelle-moi.
— Désolé, dit-il. Il avait toujours choisi Brooke plutôt que Candi, et il le ferait toujours. Il suivrait Brooke n'importe où. Même quand elle était en colère.
— Tu sais vraiment les choisir, dit Brooke. Tu allais sérieusement te remettre avec cette psychopathe ? J'avais de la peine pour toi, et maintenant je suis juste en colère. Je t'ai laissé une dizaine de messages vocaux, mais je suppose que je sais pourquoi tu ne répondais pas à ton téléphone.
— Ne pouvais pas l'entendre.
— Tu as conduit ou pris un taxi ?
Il dut y réfléchir un moment. — Conduit.
Les mains de Brooke tapotèrent rudement ses joues.
S'était-il endormi ?
— Luke. Luke ! Où est le ticket du voiturier ?
Le ticket du voiturier ? Il ne pouvait pas penser clairement.
Brooke soupira, fouillant dans une des poches de son manteau, puis dans l'autre. Le cœur de Luke battait fort dans sa poitrine, et il voulait se pencher en avant et la serrer dans ses bras. Cela violerait certainement la Règle n°2. Probablement la Règle n°3 aussi. Il repoussa ses mains.
— Où est le numéro de réclamation ? répéta-t-elle.
Il fouilla dans la poche intérieure de sa veste et le sortit. Bientôt, la voiture de Luke s'arrêta au bord du trottoir, la peinture argentée luisant sous la lumière de l'auvent protecteur. Le voiturier ouvrit la porte passager, et Brooke poussa Luke à l'intérieur.
— Attache ta ceinture, dit-elle.
Quand il ne bougea pas, elle se pencha et le fit elle-même. Son souffle chatouilla sa joue, et il inhala le parfum familier de menthe poivrée. Il passerait volontiers le reste de la nuit à remplir ses poumons de son parfum si elle le lui permettait.
Elle ne le fit pas. Au lieu de cela, elle monta du côté conducteur et conduisit vers son appartement. Il admira sa façon de manier l'embrayage pendant environ un pâté de maisons avant de s'endormir.
Luke se réveilla lorsque Brooke le secoua. Elle et le voiturier du complexe d'appartements le regardaient. Il plissa les yeux contre les lumières provenant des lampadaires le long du trottoir.
— Je ne peux pas te porter à l'intérieur, dit Brooke. Peux-tu marcher ?
Luke marmonna oui. Il essaya de supporter son poids pendant qu'ils marchaient dans le hall, mais Brooke portait toujours le plus gros du fardeau. Elle grogna, son bras se resserrant autour de sa taille.
— Avez-vous besoin d'aide, Mademoiselle Pierce ? demanda le portier.
— Non, dit Brooke. Merci.
Le pied de Luke glissa sur le sol de marbre blanc, le faisant basculer en avant. Il entraîna Brooke avec lui et elle laissa échapper un halètement de surprise. Le portier se précipita à leur aide, mais Luke se rattrapa avant que l'homme trapu ne les atteigne.
— Peut-être devrais-je l'aider à monter, dit le portier.
— Une fois dans l'ascenseur, nous irons bien, le rassura Brooke.
— Bien sûr. Le portier se dépêcha vers les portes de l'ascenseur, le chrome si brillant que Luke pouvait y voir un reflet flou. L'homme plus âgé appuya sur le bouton d'appel, et les portes s'ouvrirent presque immédiatement. L'estomac de Luke se noua d'humiliation tandis que le portier aidait Brooke à le guider dans l'ascenseur. Le portier sortit, et les portes glissèrent silencieusement.
Luke s'affaissa contre le mur en miroir tandis qu'ils montaient vingt-neuf étages jusqu'à son penthouse. Il avait dû s'endormir à nouveau. Il entendit le grondement profond d'une voix masculine — le préposé à l'ascenseur ? — l'aidant à entrer dans son appartement. Sentit la douce soie de la couette de son lit sous sa joue. Une traction quand Brooke lui enleva ses chaussures et ses chaussettes.
Il entendit le claquement lorsque Brooke laissa tomber quelque chose — probablement son téléphone portable — puis un doux murmure tandis qu'elle parlait à quelqu'un à l'autre bout de la ligne. — Salut, Zoey.
Ah oui, la colocataire et fidèle acolyte de Brooke. Il se demanda si Zoey serait contrariée d'être entraînée dans un autre épisode du drame qu'était sa vie. Après huit ans, cela devait l'user.
— Oui, je l'ai trouvé, sur le point de faire un coup d'un soir avec Candi. Oui, cette Candi. Je ne sais pas — il est complètement ivre. Peux-tu récupérer ma voiture ? Je vais rester la nuit pour m'assurer qu'il va bien.
C'est alors que Luke s'endormit.
ÉDITION FRANÇAISE
399 Pages
6-7 Heures
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