CHAPITRE UN
Kara tenait le bébé hurlant contre son épaule, rebondissant sur la pointe des pieds dans une vaine tentative de calmer sa nièce. Combien de temps pourrait-elle tenir ainsi avant que ses bras ne tombent d'épuisement ? Celui qui avait inventé la poussée dentaire méritait d'être fusillé. Ou peut-être enfermé dans une pièce avec un malheureux bébé de dix mois pour le restant de ses jours.
« Chut, Esmée », murmura Kara pour peut-être la milliardième fois de la nuit. Esmée rejeta la tête en arrière, poussant contre les épaules de Kara. Pour une petite fille si maigre, elle avait vraiment beaucoup de force. Elle l'utilisait contre Kara depuis le jour où elle était devenue maman, six mois plus tôt.
Kara avait envie de hurler elle-même. Ou peut-être de pleurer – même si aucune de ces réactions ne résoudrait la multitude de problèmes qui menaçaient de la submerger. La maternité n'avait jamais été une chose qu'elle avait envisagée, mais lorsque sa sœur Danielle avait dérapé et était morte d'une overdose d'héroïne, Kara avait demandé la garde d'Esmée sans hésiter. Kara avait été une seconde mère pour le bébé depuis sa naissance, et le placement en famille d'accueil n'était pas quelque chose qu'elle souhaitait à quiconque. Les trois années passées dans le système avant d'atteindre l'âge de la majorité avaient été un enfer.
Kara pressa sa joue contre celle d'Esmée et commença à fredonner une berceuse en arpentant la minuscule chambre d'enfant. Le parquet voilé craquait à chaque pas, et la fenêtre ouverte ne parvenait guère à lutter contre la chaleur étouffante de l'été. Chaque centimètre carré de son deux-pièces avait désespérément besoin d'être rénové, mais il faudrait attendre que le studio de danse du dessous reprenne du service. Pour l'instant, l'argent manquait.
Elle avait acheté le studio avec l'aide de Homeless No More, une association caritative qui s'est avérée être une arnaque. Danielle avait acheté un petit appartement grâce au même programme. Kara doutait que ce soit une coïncidence si, quelques jours seulement après son expulsion, Danielle se soit remise à la drogue pour la dernière fois. La famille royale galienne devrait être contrainte de vendre les joyaux de la couronne et de renflouer tous les citoyens des classes populaires qu'elle avait arnaqués pour les faire entrer dans le programme.
La situation de Kara ne serait guère meilleure que celle de Danielle si rien ne changeait rapidement. Elle avait six mois de retard sur presque tout.
Kara continuait de chanter la berceuse, faisant sauter Esmée de haut en bas tandis qu'elle usait le plancher à force de marcher. Esmée mit deux doigts dans sa bouche et suça furieusement. Encore une heure avant de pouvoir prendre une autre dose d'analgésique. Espérons que le bébé finirait par s'endormir.
Crash ! Kara sursauta, le cœur battant à tout rompre. Esmée cessa de pleurer et releva la tête pour écouter. On aurait dit que ça venait du studio.
Un autre fracas résonna dans la pièce, les murs fins ne l'empêchant pas de s'échapper. Esmée grogna et se tortilla pour se mettre à terre, l'excitation des bruits de minuit semblant lui faire oublier ses gencives enflées. Mais Kara serra sa protégée plus fort, les mains tremblantes, tandis que la peur obscurcissait son esprit.
« Réfléchis », souffla-t-elle. De nouveaux miroirs avaient été livrés le matin même, mais Kara n'avait pas eu l'argent pour les installer. Peut-être avait-elle mal accroché l'un des miroirs et il était tombé par terre en éclats. L'idée de tout cet argent gaspillé lui donnait la nausée.
Peut-être était-ce Raphaël, murmura une voix cynique qui ressemblait étrangement à la sienne. Mais c'était ridicule. Raphaël était toujours en prison, et de toute façon, il ne savait pas où elle habitait. Il avait demandé la garde d'Esmée après la mort de Danielle, mais le tribunal avait rejeté sa demande car elle provenait d'une cellule de prison – peu importe qu'il soit le père.
Des échauffourées résonnèrent dans l'escalier et emplirent l'appartement, faisant battre le cœur de Kara encore plus fort. Pas les miroirs, donc. Quelqu'un était bel et bien en bas.
« On ne peut pas se cacher ici comme des idiots », murmura-t-elle à Esmée.
Le bébé roucoula comme pour montrer son accord.
Kara attrapa une poêle dans la cuisine et prit une profonde inspiration tremblante. Une personne sensée aurait appelé la police. Mais bon, la plupart de ces personnes n'avaient probablement pas été extirpées du corps de leur mère décédée par un policier pour être conduites dans un nouveau foyer. Elles n'avaient pas vu leurs voisins se faire arrêter malgré le peu de preuves disponibles, simplement à cause d'indiscrétions passées. Dans son monde, la police était l'ennemi.
Elle déposa Esmée par terre, enfila ses chaussures et fourra son téléphone portable et ses clés dans son soutien-gorge pour les mettre à l'abri, car son pantalon de pyjama n'avait pas de poches. Esmée sembla comprendre le désir de silence de sa tante et observa la scène depuis le sol de la cuisine, sans un bruit.
« Viens », murmura Kara en prenant le bébé dans ses bras.
Alors qu'elle descendait l'escalier, Esmée dans un bras et la poêle dans sa main libre, Kara se demanda si elle avait imaginé la bagarre. Un silence presque oppressant résonna dans la cage d'escalier, et ses oreilles tendues ne percevaient aucun bruit.
Elle était presque arrivée à la porte du studio lorsqu'un grondement de voix la figea. Les rires furent presque immédiatement suivis de jurons. Les voix étaient fortes, profondes et résolument masculines. Kara colla son oreille contre un mur, peinant à distinguer les différents sons. Deux hommes, au moins. Peut-être trois.
Ouais, elle savait qu'il valait mieux ne pas défier les probabilités. Elle recula lentement et délibérément vers l'escalier. Elle et Esmée se cacheraient dans le coin le plus sombre de l'appartement, téléphone serré contre elles, et prieraient pour que les hommes partent sans monter.
Esmée choisit ce moment pour pousser un gémissement gigantesque. Kara se figea et ferma les yeux, pressant la tête d'Esmée contre son épaule pour étouffer tout autre bruit. Elle osait à peine respirer.
« C'était un bébé ? » demanda une voix grave. Ses mots étaient pâteux, comme s'il avait bu. Une nouvelle vague de peur parcourut l'échine de Kara.
« Aucune idée », répondit une autre voix. « Où sommes-nous ? »
Un autre fracas retentit, suivi d'un rire rauque. Les miroirs ! Elle avait passé des mois à sauter des repas et à économiser quelques sous pour se les permettre.
Kara franchit la porte en trombe pour faire face aux vagabonds, la peur pour son atelier éclipsant celle des intrus. Deux hommes se tenaient au milieu de la pièce, entourés d'éclats de verre. L'un était légèrement plus petit que le premier et portait une chemise sombre boutonnée aux manches retroussées presque jusqu'aux coudes. Le clair de lune se reflétait sur les fragments du miroir, mêlé à la vitre qui avait servi de fenêtre quelques instants plus tôt.
« Qu'est-ce que tu fais ? » hurla Kara. Sa vitrine avait complètement disparu. Deux panneaux de miroir s'étaient effectivement détachés du mur et brisés. Était-ce sa chaîne stéréo par terre ? Elle fit un pas en avant, la rage brûlant tout son être. Oui, sa chaîne stéréo pendait de l'étagère, suspendue à un fil dénudé qui semblait menacer de se briser à tout moment.
L'homme le plus petit fit un pas en avant, et Kara fit instinctivement un pas en arrière.
« Mes excuses », dit-il d'une voix douce et polie. Ses cheveux étaient plus clairs que ceux de son compagnon – peut-être blonds, même si c'était difficile à deviner dans le studio plongé dans l'obscurité. « Nous étions poursuivis par des hommes en colère et on nous a conseillé de nous cacher. »
« Oh, je suis désolée. » Kara attira Esmée plus près. « Je ne savais pas que tu te cachais d'hommes imposants et en colère. Continue de vandaliser mon studio, s'il te plaît ! »
Il leva un long doigt et le fit bouger d'avant en arrière. « Je n'ai jamais dit qu'ils étaient gros. »
« L'un était grand », dit le deuxième. Il portait une veste de costume en lin clair et parlait si mal qu'il était presque impossible de le déchiffrer.
Le premier homme claqua des doigts. « Oui, très grand. Il devrait faire partie de l'équipe nationale de basket. »
« Je croyais qu'ils avaient dissous ça ? » demanda le deuxième. Un léger accent perçait les mots. Elle ne l'avait pas remarqué jusqu'à présent, distraite par le bafouillement.
« C'était Durham. » L'homme blond tapota la poitrine de celui en veste de costume. « Pardonnez à mon cousin. Il a eu des jours difficiles. »
Kara laissa échapper un rire incrédule. Il avait eu des jours difficiles ? Son studio venait d'être détruit !
ENGLISH EDITION
80 pages
1 à 2 heures
16 000 mots
